Interviewé en Novembre 2017 par Julien Foussereau, journaliste chez Télérama, j’ai eu l’opportunité de parler du traitement et de la visibilité des personnes LGBT+ au sein des jeux vidéo. Ci-dessous, ce qui est paru dans le magazine n°3543 de Telerama et je vous ai mis ensuite l’interview avec mes réponses complètes 😘
Tout d’abord,
quels ont été les sentiments que vous avez éprouvé
pendant votre jeunesse de gamer ?
Ayant eu une enfance difficile sans père ni mère, le jeu vidéo a représenté un moyen inespéré de m’émanciper de la réalité. Vivre de formidables aventures dans des jeux tels que Vandal Hearts ou Final Fantasy VII a été une manière salvatrice de me soulager de mes difficultés quotidiennes.
Comment expliquez-vous
qu’une vision aussi rétrograde de l’homosexualité
ait perduré si longtemps ?
Le jeu vidéo fait partie intégrante de l’industrie audiovisuelle, tout comme le cinéma et la télévision, ces domaines sont influencés par les mêmes codes. Depuis leur démarrage, ces médias ont toujours plus ou moins fait apparaitre des personnes LGBT+ mais malheureusement d’une façon stéréotypée voire carrément caricaturale. À la fin des années 80, les gays et lesbiennes étaient souvent utilisés dans les jeux vidéo pour servir des blagues ou être ouvertement moqués. Il a fallu attendre longtemps avant que ces personnages gagnent en profondeur et soient abordés respectueusement. Nintendo a beaucoup limité la représentativité des personnes LGBT dans ces années-là à cause d’une directive qui stipulait qu’aucun jeu abordant le sexe ne serait vendu sur sa plateforme. Cela a longtemps dissuadé les éditeurs de suggérer que tel ou tel personnage était gay puisqu’il aurait fallu expliciter cette attirance et leur jeu vidéo aurait été censuré.
Quels sont selon vous les premiers jeux
qui ont changé la donne et dépeint une vision
plus nuancée et plus feel good de l’homosexualité ?
Il y a certes quelques jeux qui ont commencé timidement à adresser une meilleure représentation des personnes LGBT à la fin des années 90 mais c’est surtout à travers les superproductions AAA qu’on a pu observer un changement notable, tout simplement parce qu’elles touchent un plus large public et sont tout de suite visibles.
Comment expliquez-vous l’orientation plus progressiste
de l’industrie vidéoludique aujourd’hui ?
Tout comme les autres minorités, la communauté LGBT+ a lutté pour être représentée correctement à la télévision et au cinéma, elle s’est donc aussi battue pour que les personnages introduits dans les jeux vidéo soient les plus réalistes possibles.
Parlez moi de votre association Next Gaymer.
Comment vivez-vous cette reconnaissance ?
Il est clair que les personnages LGBT+ ne sont plus du tout représentées de la même façon. Aujourd’hui ces thèmes sont abordés avec plus de respect et une complexité qui reconstitue mieux la diversité des gens.
Il n’empêche,
lorsque l’on déambule dans les salons de jeux vidéo,
la culture des girls booth objectifiant les femmes
et tous les délires patriarcaux et masculinistes,
la route est encore longue, non ?
Oui, j’ai été très choqué par les insultes sexistes que certains individus dans ces salons s’autorisent à envoyer aux femmes qui travaillent sur des stands ou même aux autres joueuses. Le sexisme dans les jeux vidéo nourrit les joueurs des pires comportements et leur donne une vision complètement biaisée de la femme. Qu’on le veuille ou non, qu’on en soit plus ou moins conscient, nous sommes tous influencés par les supports que nous aimons : le cinéma, les séries, les livres, les jeux vidéos… Moins de sexisme dans les jeux vidéo résulte à moins de sexisme dans la vraie vie. Cela vaut de même pour le racisme et l’homophobie.
Lorsque l’on voit la Silicon Valley
affichant une résistance à un pouvoir exécutif trumpien
libérant la parole raciste et homophobe,
ressentez-vous de l’espoir ? Ou au contraire,
un tour sur les forums de Reddit et les threads Twitter
d’usagers se réclamant du GamerGate
vous donnent envie de pousser un énorme soupir ?
Il y a des deux. Nous poussons de nombreux soupirs et sommes souvent exaspérés de la façon dont certains peuvent nous dépeindre alors que nous souhaitons juste être décrits et traités comme des êtres humains comme les autres. Parfois il y a pire que des soupirs, quand on apprend qu’un enfant a été tué par son père parce qu’il était gay ou qu’un jeune s’est suicidé parce qu’il était victime d’harcèlement homophobe. Cela nous touche et nous blesse forcément. Avec le nombre de témoignages d’actes homophobes reçus par SOS homophobie en augmentation en France (+19.5% en 2016), on est forcément inquiets… mais il ne faut jamais perdre espoir et il faut agir si on le peut. C’est pour cela que je communique sur ces questions très délicates au sein de l’univers du jeu vidéo et que j’offre un espace sécurisé pour les geeks et gamers LGBT avec mon association.
Comment voyez vous
l’avenir du jeu vidéo sur la question LGBT+ ?
Les mentalités et la diversité progresse. Nous allons dans la bonne direction même si rien n’est acquis, il faut continuellement lutter pour faire reconnaitre et respecter l’existence des minorités. Le jeu vidéo avait sans doute pris du retard sur l’inclusion des personnes LGBT+ par rapport au cinéma et à la télévision mais les progrès sont très visibles, j’ai hâte de découvrir les jeux de ces prochaines années. J’espère qu’on pourra jouer dans un futur proche à une superproduction dont le héros serait un homme gay, une femme lesbienne ou une personne transgenre.